Lopakhine danse à Granville – Archipel
Lopakhine danse à Granville est un solo pour un comédien danseur, Julien Moreau, qui traite de l’émancipation de son milieu d’origine après sa rencontre avec l’art. C’est le récit de sa vie entrecoupé de séquences filmées issues des recherches documentaires faites par la compagnie. C’est un récit d’émancipation à la frontière entre la danse, le théâtre et le documentaire. C’est un dialogue entre un fils et petit-fils de moujik, un film documentaire et des spectateurices qui convoquent la trace que l’art peut laisser dans les corps et sa capacité à nous transformer durablement.
Lopakhine tournant comme un derviche est mon premier choc théâtral. Cela se passe à Marseille, dans le tout petit théâtre de Lenche. J’ai 17 ans, je ne connais pas Tchekhov. Je vais voir La Cerisaie avec ma classe. À la fin du troisième acte, je vois Lopakhine tourner comme un derviche et hurlant de joie : « La Cerisaie est à moi, c’est moi qui l’ai achetée ». Je quitte le théâtre bouleversée. Je ne peux pas expliquer ni comprendre ce que la vue de cette scène a mu en moi mais, le lendemain, je décide d’arrêter ma formation en Hypokhâgne pour lire toute l’oeuvre de Tchekhov. Une fois ma lecture terminée, je « monte à Paris » pour faire du théâtre alors que rien ni personne ne m’y destine. Quatre ans plus tard, je monte ma première mise en scène : c’est une variation autour des Trois Soeurs de Tchekhov. Depuis, c’est cette émotion, ce choc que je recherche chaque fois que je vais au théâtre et que j’espère provoquer dans mes spectacles. C’est ce que j’attends du théâtre et de l’art : qu’une oeuvre se plante devant un.e spectateur.ice et vice versa et qu’iel lui change la vie. J’attends que le miracle du théâtre advienne. Alors que la crise que nous traversons a rendu les salles noires quasiment vides, je crois encore que le théâtre peut changer la vie de celles et ceux qui y vont. Je crois d’ailleurs que c’est pour cela qu’iels y vont. Le feu n’est pas très vif mais les braises restent chaudes et je crois qu’en soufflant dessus et en demandant à toutes celles et ceux que nous croiserons de nous conter ce qui les a déplacés à la réception d’une oeuvre, en les filmant et, pourquoi pas en les revivant avec nous, nous pourrons les rallumer.
Liza Machover
